L'image et le souvenir du Pr André Kahn ont plané tout au long de la journée d'information sur l'obésité de l'enfant qui s'est tenue à Bruxelles le 1er octobre dernier. Cette journée était en effet organisée par l'Hôpital des enfants Reine Fabiola (Huderf), sous l'impulsion du chef de pédiatrie récemment décédé. On y a notamment parlé épidémiologie, prévention, recherche et prise en charge.
A l'heure où l'Institut national américain de médecine insiste pour la première fois sur la nécessité d'une stratégie de société -impliquant médias, écoles et industrie agro-alimentaire et ne s'appuyant plus uniquement sur la responsabilité individuelle- pour lutter contre l'obésité infantile, les spécialistes belges appellent de leurs vœux la création d'un réseau multidisciplinaire interhospitalier. Une structure permettant la prévention, l'étude et la prise en charge de l'excès pondéral de l'enfant et de l'adolescent.
Check in, check out
"L'obésité est définie comme un excès de masse grasse (MG), mais qu'est-ce que la masse grasse?", s'est interrogée le Pr Michèle Guillaume (Observatoire de la santé-Province de Luxembourg) qui a rappelé qu'un des problèmes rencontrés dans l'étude épidémiologique de l'obésité infantile est l'absence de consensus sur la définition de cet état. "L'IOTF (International Obesity Task Force) a proposé d'utiliser le même indice que pour l'adulte, le BMI. Pourquoi? Parce qu'il répond à différents critères: il combine le poids, la taille et l'âge et, même s'il ne reflète pas suffisamment les proportions de MG et de M maigre, l'évolution de cet indice avec l'âge reflète bien le développement de la MG évaluée par des méthodes plus précises".
Ainsi, les seuils définissant l'excès de poids et l'obésité correspondent aux valeurs respectives de 25 et 30kg/m² à 18 ans. "L'avantage est qu'il existe ainsi un continuum avec l'âge adulte".
Dans notre pays, on observe qu'en province de Hainaut, un enfant sur 4 est en surpoids et, selon une étude faite en 2003-04 en province de Luxembourg, dès 4 ans, 15% sont en excès de poids ou obèses, à 10-11 ans, 25% des garçons et 27% des filles, et plus de 15% chez les plus âgés.
Assiste-t-on à une augmentation de ces chiffres? "Oui, précise la spécialiste, dans le Hainaut, on note une augmentation significative de l'excès poids et de l'obésité dans la tranche d'âge de 13 ans où, en 5 ans, on est passé de 13 à 18%, soit une augmentation de 1% par an. A Liège, selon une étude de 1998, si les chiffres semblent stables dans le secondaire et le supérieur, on enregistre un pic de croissance significative en maternelle et en primaire".
Le second rebond d'adiposité a une valeur prédictive du risque d'obésité: "Plus il est précoce, précise-t-elle, plus le risque que l'obésité persiste à l'âge adulte est grand. Avant l'âge de 8 ans, il est normal qu'un enfant change de courbe de percentile, mais après il sera plus difficile d'en changer".
Les différents facteurs comme l'hérédité qui influencent l'obésité ont aussi été évoqués: "On sait que si un des deux parents ou les deux sont obèses, le risque que l'enfant soit obèse augmente. Mais cette influence diminue avec l'âge: quand l'enfant grandit, c'est plutôt son poids qui joue".
La spécialiste de l'Observatoire de la santé du Luxembourg fait cependant remarquer que l'obèse ne mange pas nécessairement plus que le non obèse: "Depuis 20-30 ans, les apports alimentaires sont stables ou diminuent, mais les sorties sont en nette diminution". On évoque parfois la faible pratique d'un sport en club, mais, "ce n'est pas un élément déterminant, au contraire de l'aspect sédentarité en relation avec la télévision", note-t-elle.
Stratégie de population
Pourquoi parler de prévention? "Parce qu'il existe une réelle épidémie en pleine expansion, parce que l'explosion à laquelle nous assistons ne peut être expliquée par des facteurs génétiques, parce qu'il existe un lien entre l'obésité infantile/prépubère et celle à l'âge adulte, parce que l'obésité provoque une augmentation de la morbidité et de la mortalité à l'âge adulte (même si elle ne perdure pas)…".
Une autre question se pose alors: en prévention primaire faut-il cibler les groupes à risque ou l'ensemble de la population? "Je suis en faveur d'une stratégie de population visant des facteurs modifiables, précise l'épidémiologiste. Malheureusement, il y a des effets secondaires indésirables à tout programme de prévention: on assiste par exemple à une augmentation du nombre de jeunes de BMI insuffisant (2,5% en fin d'adolescence). Il faut faire attention aux messages envoyés aux ados et préados: les programmes de prévention risquent de favoriser les problèmes alimentaires limites ou les comportements à risque (certains se mettent à fumer ou à boire de l'alcool pour 'mieux' gérer leur poids parce qu'ils ont peur de l'obésité). Il ne faudrait pas perdre de vue la notion de 'plaisir': on mange d'abord et surtout pour le plaisir".
Enfin, si Michèle Guillaume regrette la faible formation des médecins généralistes en nutrition, la spécialiste fonde beaucoup d'espoirs sur la volonté du ministre Demotte d'élaborer un véritable plan national de nutrition.
"Les progrès dans la prise en charge de l'obésité nécessitent une évaluation, une standardisation des méthodes de travail… tout ceci nécessite un réseau, comme le Pr Kahn en avait émis l'idée". Un réseau qui impliquerait les enfants et leurs parents, l'école, le milieu extra-scolaire, les professionnels de santé, les autorités publiques et l'industrie alimentaire.
Projet Chopin
Parmi les facteurs prédictifs de l'obésité, d'aucuns évoquent l'alimentation des premiers mois de vie et le rôle des apports protéiques. Le Dr A. Sengier (Huderf) a présenté l'étude européenne multicentrique en cours, Chopin pour Childhood Obesity: Early Programming by Infant Nutrition. "Il s'agit de vérifier l'influence de la teneur protéique de l'alimentation et notamment de déterminer si la quantité de protéines ingérées durant les 2 premières années de vie a un impact sur l'indice de Quetelet à l'âge de 8 ans".
Le projet Chopin concerne 5 pays assez dissemblables en termes d'habitudes de diversification alimentaire: Belgique, Allemagne, Espagne, Italie et Pologne.
La cohorte comprend 1250 enfants nourris pendant la première année de vie soit par un lait à faible teneur en protéines soit à teneur plus élevée. Le groupe de référence pour les mesures anthropométriques se compose de nourrissons allaités pendant au moins les 4ers mois de vie. En Belgique, le recrutement est terminé depuis fin juillet 2004, environ 170 enfants seront suivis à l'Hude et au CHC St Vincent de Rocourt.
"Un des buts ombrés du projet est de promouvoir l'allaitement maternel et d'essayer de diminuer la charge protéique des laits infantiles", conclut le Dr Sengier.
Auteur : Martine Versonne
Source : Le Journal du Médecin
(n° 1621 du 08/10/2004) - ©Lejournaldumedecin.com