Anne Vergison, médecin hygiéniste et infectiologue à l'hôpital des enfants Reine Fabiola, a lancé sa première campagne contre la grippe au sein de son institution lors de l'hiver 2002. Quatre ans plus tard, elle analyse les retombées de son action au cours d'une interview qu'elle nous a accordée.
Journal du médecin: Pouvez-vous nous rappeler l'historique de la vaccination à l'Huderf?
Anne Vergison: On a commencé notre première campagne de vaccination
au moment de l'hiver 2002.On a convaincu la direction d'offrir le vaccin à tous
les membres du personnel qui le souhaitaient. C'est une initiative qui est
partie de l'équipe de l'hygiène hospitalière, avec le
soutien de la direction puisque celle-ci a accepté de payer la vaccination.
Et, au départ, ce sont les hygiénistes qui ont commencé à vacciner,
autant infirmières que médecins. Ils ont été aidés
du médecin chef et même du médecin directeur, en se disant "Comme ça,
on montre l'exemple". On a évidemment vacciné dans un
local de l'hôpital mais en offrant des permanences de vaccination, pour
permettre aux gens de venir quand ça les arrangeait.
Et là on a eu une interpellation à un moment donné des
représentants syndicaux et du comité pour la prévention
et la protection au travail qui rappelaient que tout ce qui a trait au personnel
doit rester anonyme: il ne doit pas y avoir de pression sur le personnel pour
se faire vacciner et des listes de patients ne peuvent être éventuellement
communiquées à la direction. Il est clair que nous ne nous étions
pas souciés de cet aspect des choses, notre objectif étant avant
tout de protéger les enfants. On a alors entamé des discussions
avec la médecine du travail qui nous a rapidement suivis dans notre
projet. Les syndicats ont par la suite reconnu que notre action servait à protéger
le personnel. Donc, c'est finalement plus pour la forme qu'ils nous avaient
interpellés, sur le fond ils étaient d'accord.
Pratiquement, où et quand vaccine-t-on?
C'est la médecine du travail qui organise la vaccination. Il faut savoir qu'une visite annuelle est obligatoire pour tout le personnel auprès de la médecine du travail. Si la visite annuelle tombe en période hivernale, on peut se faire vacciner contre la grippe en même temps, à ce moment-là. Comme la médecine du travail est située à l'autre bout du campus - il faut un quart d'heure pour y arriver - cinq permanences sont organisées par an au sein même de l'hôpital des enfants, auxquelles s'est ajoutée une permanence particulière pour les soins intensifs, autant pédiatriques que néonatals. Ces permanences sont assurées par les médecins hygiénistes, en étroite collaboration avec la médecine du travail. Enfin toute personne qui veut se faire vacciner peut venir frapper à mon bureau. On essaie de mettre toutes les possibilités existantes à la disposition du personnel.
C'est finalement quasi impossible de résister à la vaccination dans votre hôpital?
Une infirmière nous disait encore l'autre jour: "J'essaie chaque année d'y échapper car je n'aime pas ça". Mais il faut reconnaître que la tendance s'est inversée. Après la méfiance du début de nos campagnes, on voit à présent qu'il existe une pression morale qui est exercée non pas par la direction ni par les infectiologues mais par les membres du personnel eux-mêmes et je pense que c'est très positif. La majorité des raisons pour lesquelles les gens ne veulent pas se faire vacciner ne sont pas des raisons objectives, mais des craintes irrationnelles ou des raisons qui ne sont pas scientifiquement fondées.
La taille de votre hôpital est évidemment un atout?
On a eu de la chance parce qu'on est un petit hôpital, une petite
structure, c'est facile de convaincre les gens. La première année,
on a obtenu 48% de taux de couverture et cela a permis de convaincre la direction
qu'elle avait fait le bon choix en offrant la vaccination. C'était très
motivant pour l'équipe. On a obtenu ces résultats deux années
de suite. On s'est évidemment posé la question de savoir si on
avait déjà un impact avec de tels chiffres.
On a alors
demandé à un étudiant de se pencher sur tous
les cas de grippe fin 2003, après les deux premières campagnes.
On a repris tous les cas de grippes hospitalisés et on a regardé quelles étaient
les grippes acquises à l'hôpital. On s'est enquis de savoir si
on avait une différence avant et après vaccination: même
avec une couverture de 50%, la réponse était oui, on obtenait
une différence statistiquement significative, avec une réduction
importante du taux de grippes nosocomiales (on est passé de 41% en 1999 à 4%
en 2004, le pourcentage du personnel vacciné étant respectivement
passé de 10 à 75%). C'est ce message qu'on a voulu faire passer
dans notre troisième campagne. Le fait d'avoir un feed-back positif
motivait d'autant plus les personnes à convaincre.
C'est ainsi
qu'on est passé à un taux de couverture de 75%
en 2004 et de 72% en 2005. Avec un tel taux de couverture, on a encore un
impact plus important.
Barrières à la vaccination
Quelles sont les réticences le plus souvent exprimées?
En même temps que notre étude, on a élaboré un questionnaire pour pouvoir répondre aux questions que se posait le personnel. On y trouve exactement les mêmes réponses que celles de la littérature sur le sujet. Les mêmes types de craintes et de raisons de refus de vaccination y sont exprimés, à savoir:
Mais le sentiment qui revenait le plus souvent était nettement: "Pourquoi
me faire vacciner alors que je suis en bonne santé?". Il apparaît
clairement que les gens se vaccinent pour eux. Le message"Il faut se faire
vacciner pour protéger ses patients", ça ne suffit pas.
C'est pourquoi on a axé la campagne 2004 non pas sur la culpabilité (surtout
ne pas dire "Vous allez tuer vos patients en ne vous faisant pas vacciner")
mais en disant au personnel "Vous êtes quand même susceptible
de faire la grippe ou de la ramener à la maison parce qu'on peut être
porteur sans être malade." On a vraiment positionné les trois
aspects: protection du patient, protection personnelle et la protection de
sa famille. Ce qui est étonnant mais important à retenir c'est
que c'est un vaccin qui protège mieux les gens en bonne santé que
les gens qui sont fragiles et qui répondent moins bien à la vaccination.
Quant
aux effets secondaires, chaque fois que des personnes vaccinées
nous signalent un effet secondaire, nous essayons de discuter avec elles.
Quels effets secondaires?
Les rougeurs au niveau local ne sont pas rares du tout, parfois il y a douleur, des malaises surviennent parfois comme un peu de fièvre, éventuellement des myalgies. Chaque fois, on essaie de discuter, de dédramatiser. En fait, c'est plus l'ignorance qui rend les gens méfiants.
Quid de l'aspect financier?
Dans l'évaluation des coûts, il faut tenir compte du fait que
les enfants qui attrapent la grippe à l'hôpital restent plus longtemps
hospitalisés, ainsi 33% des enfants ont eu un séjour prolongé.
Le coût direct moyen est de 961 euros par épisode de grippe nosocomiale
(séjour). Le coût direct moyen des grippes nosocomiales dans notre
hôpital est de 15.510 euros par an avant vaccination, de 6.542 euros
par an (baisse de 58%) avec 50% de couverture et 1.918 euros par an (baisse
de 88%) avec 75% de couverture vaccinale.
Il est à noter que la réduction des grippes nosocomiales profite
financièrement surtout à la sécurité sociale, alors
que les vaccins et la vaccination sont payés par l'employeur. Dans le
cas de notre hôpital, on a de la chance, c'est la direction de l'hôpital
qui paie le vaccin au personnel.
Une conclusion?
Il ne faut pas se laisser décourager par le manque de motivation apparente. Je pense que c'est une façade. C'est évidemment plus facile pour nous en pédiatrie. Le vaccin est quelque chose de naturel, les enfants sont constamment vaccinés. Il n'empêche que cela reste un investissement énorme que de faire passer le message "grippe".
Propos recueillis par : Marguerite Loute
Source : Le Journal du Médecin
(n°
1791 du 10/11/2006) - ©Lejournaldumedecin.com